En bloquant le développement d’embryons de poulets, des chercheurs américains ont réussi à leur faire pousser des sortes de 'gueules ancestrales' en lieu et place de becs. "Nos cobayes ont développé un museau arrondi proche de ceux des velociraptors, ces petits dinosaures bipèdes, ou de l’archéoptéryx, un oiseau primitif (voir image ci-dessous)" racontent les biologistes du développement Bhart-Anjan Bhullar (université de Yale) et Arhat Abzhanov (université d’Harvard). "Ils leur manquent encore des dents et ils conservent une sorte de revêtement corné sur le museau". Leur bricolage expérimental vient d’être publié dans la revue Evolution. Concrètement, les chercheurs ont réactivé des gènes dinosaures ancestraux chez la volaille
de basse-cour. "Nous voulions comprendre comment le museau s’est transformé en bec, il y 150 millions d’années, lorsque des dinosaures ont donné naissance aux premiers oiseaux, justifient-ils. Le bec est une innovation cruciale, un outil flexible qui a permis le succès des oiseaux et leur adaptation à de multiples niches écologiques".
Les scientifiques ont travaillé pendant sept ans avec une approche combinant paléontologie, anatomie comparative et biologie du développement expérimentale. Ils ont découvert qu'aux premiers stades de l’évolution des volatiles, les os jumeaux qui formaient le museau chez les dinosaures comme chez les reptiles (appelé prémaxillaires) se sont allongés et ont fusionné pour former un bec. Et que les deux protéines connues pour orchestrer le développement de la face, FGF et Wnt, s’expriment différemment chez les embryons de reptiles (alligators, lézards, tortues) et d’oiseaux (émeus, poulets...).

Comme si on avait mimé un arrêt de l'évolution".
"Les chercheurs ont diminué expérimentalement la quantité de ces deux molécules, en faisant agir des inhibiteurs, au bon moment sur les structures embryonnaires impliquées dans cette morphogenèse, détaille l'Académicienne Nicole Le Douarin, chercheuse en biologie du développement et en embryologie, et spécialiste de ces deux protéines FGF et Wnt. "Ils ont obtenu chez l’oiseau un développement incomplet de la mâchoire dont l’architecture osseuse rappelle celle d’un reptile. Sachant que les reptiles se trouvent dans la lignée évolutive des oiseaux, tout se passe comme si on avait mimé un arrêt de l’évolution en ce qui concerne le caractère considéré : le développement du bec". Ce résultat, intéressant, "montre que l’on peut aborder des problèmes portant sur l’évolution, non seulement en étudiant les formes fossiles mais aussi en perturbant le développement. En somme, on a là une illustration du concept prôné par Ernst Haeckel en 1877 : 'l’Ontogenèse récapitule la Phylogenèse'" explique la professeure honoraire du Collège de France. En 2003, des poules avaient déjà retrouvé leurs dents, selon la même méthodologie (voir ci-dessous). Ce qui ouvre la voie à de nombreux fantasmes : pourrait-on demain fabriquer une créature proche de l’ancêtre des oiseaux ?